KRIKOR AMIRZAYAN Rubrique

L’Arménie se consume sous nos yeux impuissants


L’Arménie indépendante en septembre 1991 était le symbole et la joie de la résurrection de la nation arménienne qui allait prendre son destin entre ses mains. Après la Première République d’Arménie (1918-1920) qui avait inscrit un nouvel Etat arménien après 9 siècle d’errance de la nation arménienne suite à la perte du Royaume arménien des Bagratides, l’Arménie indépendante de 1991 affichait ses ambitions : devenir le berceau du peuple arménien à quelques pas du mont Ararat qui vit naître sur ses pentes la nation arménienne il y a 8000 ou 12000 ans.

Mais cette Arménie indépendante qui avait arraché son indépendance après la dislocation de l’Union soviétique, devait faire face à plusieurs défis : crise énergétique avec l’arrêt de la centrale thermonucléaire de Medzamor, blocus turco-azéri, crise économique avec l’appareil industriel et productif en panne depuis la fin de l’URSS, l’émigration massive des Arméniens, et la guerre en Artsakh. Si cette dernière tourna à l’avantage des Arméniens avec la victoire de l’armée arménienne de libération de l’Artsakh sur les envahisseurs Azéris et l’indépendance de l’Artsakh, sur les autres domaines, l’Arménie céda du terrain.

Plus d’un million de ses citoyens émigrèrent vers d’autres cieux à la recherche de conditions économiques meilleures et la sécurité. Le blocus et l’arrêt de la centrale thermonucléaire plongea l’Arménie dans un froid catastrophique, particulièrement sévère l’hiver 1993. Un cauchemar pour la population qui brûla arbres et meubles, jusqu’aux livres et papiers, pour se réchauffer quelque peu. Tandis que les usines soviétiques, disproportionnées à la taille de la nouvelle République d’Arménie, étaient à l’arrêt complet, faute de matières premières, d’énergie et de commandes…
Cette renaissance de l’Arménie fut dans des conditions catastrophiques et sa population passa très vite de 3,8 à moins de 3 millions.

L’une des seules fiertés des Arméniens était son armée victorieuse de la guerre de libération de l’Artsakh. Une armée qui affichait sa détermination, sa discipline et sa puissance. D’aucuns affirmaient que l’armée arménienne était la première armée du Sud-Caucase par sa puissance. Elle était le gage de la sécurité des Arméniens d’Arménie et de l’Artsakh. Des 30 000 km² de la République d’Arménie, et des 12 000 km² de la République de l’Artsakh, les deux Etats arméniens visaient l’avenir avec la sérénité d’une armée garante de cette liberté.

Mais le temps ne travaillait pas pour l’Arménie qui se reposait sur ses lauriers de la victoire obtenue trente ans plus tôt. Entre-temps, la Turquie, petite puissance sous les ailes de l’OTAN, était devenue sous Erdogan et les croissances économiques fortes, une puissance régionale capable de dicter son choix sur les Etats voisins. De son côté, grâce à l’exploitation de la manne gazière et pétrolière, l’Azerbaïdjan avait reconstitué une armée forte et équipée par des armes modernes.
L’Arménie avait sous-estimé cette menace pantouranienne. A Erévan ou Stepanakert, on cultivait le mythe de l’Arménien fort, capable de lutter contre tous les ennemis de la terre, l’Arménien à l’esprit déterminé et dont chacun cachait l’âme d’un héros. L’Arménien invincible. Pour preuve : la victoire en Artsakh contre des forces beaucoup plus nombreuses.

Mais dans cette analyse il manquait une donnée importante que l’Etat-major des forces armées arméniennes n’avait pas intégré : les armes modernes. Car la nature des armes de guerre avait changé et l’apport des technologies dans les armements ne laissait que peu de chance aux armes classiques dans les combats. Et l’emploi de drones d’attaques était de cette catégorie ! Les Arméniens perdirent la guerre de 44 jours en Artsakh avant tout par les drones. Et bien évidemment par le soutien de la Turquie et d’autres Etats à l’Azerbaïdjan. Alors que l’Arménie était délaissée de son partenaire stratégique russe.
La défaite de la guerre de 44 jours en Artsakh marque ainsi une rupture entre la période où l’Arménie et l’Artsakh visaient un avenir radieux surs de leurs armées et leur puissance, et cette période nouvelle où tout s’inscrit en noir et désespoir.

L’Artsakh est passée des 12 000 km² à moins de 3 000 et l’Arménie est grignotée à ses frontières, et notamment dans sa partie orientale des régions du Gegharkunik, Vayots Dzor et Syunik. Chaque jour qui passe est un jour de cauchemar avec des tirs ennemis à nos frontières. L’Artsakh sous blocus azéri est en danger d’extinction et sa population qui pourrait être soumise par Bakou à un nettoyage ethnique. Pire encore, après l’Artsakh, l’Azerbaïdjan enivrée par la victoire, désirera le sud de l’Arménie, la région du Zangezour, notre Syunik. L’Arménie se consumera alors sous nos yeux impuissants. Car le couple maléfique turco-azéri dispose de moyens nécessaires à cette invasion du sud de l’Arménie visant une jonction entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan et au-delà par voie terrestre la Turquie.
L’Arménie seule, ne pourra faire face à ce pantouranisme conquérant. L’Iran, héritier de l’Empire Perse pourrait s’avérer comme une forteresse face à ce pantouranisme désireux d’avancer au sud de l’Arménie. La Russie, après sa mauvaise passe en Ukraine pourrait tel l’ours qui hiberne, se réveiller et sortir ses griffes au Sud-Caucase.

A défaut de partenaire stratégique, on pourrait bien assister impuissants à la consumation et réduction comme une peau de chagrin de l’Arménie, dernier sanctuaire de la nation arménienne.

Krikor Amirzayan

par Krikor Amirzayan le vendredi 30 juin 2023
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