Main basse sur Alep
Fidèle à la bonne vieille tradition de duplicité ottomane, Erdogan prouve une fois de plus ces jours-ci en Syrie qu’il ne faut jamais tant s’en méfier que lorsqu’il montre patte blanche. A l’exception de ses diatribes anti-israéliennes, surtout destinées à un usage populiste interne, le nouveau Sultan s’essayait ces derniers mois à polir son image notamment vis-à-vis de l’Occident. C’est ainsi que, répondant à une proposition pernicieuse (visant en réalité à diviser les Kurdes) de son ministre du MHP Devlet Bahçeli, il s’était même dit ouvert, à la mi-novembre, à une forme de négociation avec Abdullah Ocalan, soumis à un isolement inhumain depuis des années sur l’île prison d’İmralı. De quoi susciter quelques illusions dans les opinions et les chancelleries. Vites retombées.
Sur la scène internationale, après s’être permis ces dernières années d’être extrêmement menaçant vis-à-vis de la Grèce, Erdogan arbore depuis septembre un visage plus pacifique à l’endroit de son voisin hellénique de l’Ouest. Gageons que cette accalmie ne durera que le temps de la consolidation de l’occupation de territoires appartenant à ses voisins arabe et kurde du sud, commencée avec la prise d’Alep par ses affidés djihadistes… A chaque jour suffit sa peine.
Prétendant chercher à apaiser la situation en Syrie, le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, se défend bien sûr de toute responsabilité dans la résurgence de ces combats qu’il impute à « l’absence de dialogue entre le régime et l’opposition » à Bachar El Assad. Plutôt savoureux, à l’heure où toutes les ONG dénoncent l’arrestation par son gouvernement des maires kurdes de Turquie liés au Parti de la Démocratie et de l’Égalité des Peuples (DEM) de quatre grandes villes du pays (Hakkari, Batman, Mardin et Dersim), ainsi que ceux d’ Esenyurt et d’Ovacik.
Mais qui est dupe de ce jeu de rôle dans lequel les tenants du panturquisme se révèlent une fois de plus à l’affut de la moindre occasion pour étendre leur sphère de domination, méthodiquement ; étape par étape ?
Comme lors de la brèche ouverte entre la Russie et l’Arménie par la Révolution de Velours de 2018 dont ils ont saisi là aussi l’opportunité pour fourbir leurs armes afin de régler militairement la question de l’Arstakh. La campagne électorale américaine de 2020 et la pandémie leur ayant ensuite ouvert la voie pour passer à l’acte.
Selon un scénario comparable, la reprise des hostilités depuis un an, au Moyen-Orient, leur donne l’occasion d’affaiblir la Syrie et de frapper les Kurdes au bon moment eu égard à l’agenda international. D’une pierre, deux coups. Avec la bénédiction de l’OTAN dont les priorités ont évolué à la faveur de la guerre déclenchée par le régime Netanyahou contre le Hezbollah, après celle contre Gaza. Il ne s’agit, en effet aujourd’hui, pas tant pour l’organisation dirigée par les États-Unis d’anéantir les Djihadistes, ennemis jurés durant les années Bush et Obama, que de fragiliser la Syrie, condition nécessaire à la mise en place des différents projets trumpistes, qui visent, au minimum, à éradiquer les influences russes et iraniennes dans la région. Erdogan aurait-il pu faire fi d’une telle fenêtre d’opportunité ?
Une fois de plus, comme dans le cas de l’Artsakh, c’est l’Etat turc qui, directement ou par procuration, s’empare de territoires qui ne lui appartiennent pas. Et, comme les Arméniens en Artsakh, les Kurdes ne devraient guère attendre de soutien international pour défendre le droit et leurs aspirations démocratiques. Ainsi vont les choses dans cette région du monde, laissée à son triste sort face aux ambitions néo-ottomanes.
Pendant ce temps, Erdogan tisse sa toile. Profitant des errements occidentaux et de l’engrenage infernal dans lequel s’est fourvoyée la Russie en Ukraine, il renforce son influence, conquiert des territoires quitte à provoquer de nouvelles vagues migratoires qui viendront s’échouer sur les plages européennes…
On lui reconnaîtra au moins cette constance : celle d’une vision stratégique à long terme qui, par contraste, met cruellement en lumière l’absence de cap des chancelleries occidentales, à l’exception peut-être de la France, quand elle disposait d’une majorité au Parlement... Nobody’s Perfect.
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