« Zone grise » : les photos d’Ursula Schulz-Dornburg prises en Arménie
Erevan – Yeghvard, 1997 © Ursula Schulz-Dornburg.
Depuis plus de cinquante ans, Ursula Schulz-Dornburg explore, à travers son travail, la relation entre l’environnement bâti et le paysage. Souvent attirée par les théâtres de conflits sociaux, politiques et culturels, ou des régions qui revêtent une importance historique, elle met en lumière la façon dont le pouvoir, les conflits, le temps et le déclin perturbent le paysage et le transforment, le marquant pour les décennies à venir.
Pour la première fois en France, la MEP (maison européenne de la photographie) lui consacre une exposition. Sa pratique photographique est traversée par trois thèmes majeurs : les démarcations et les frontières, l’architecture et l’environnement bâti ainsi que l’impact humain sur l’environnement et les paysages.
Quarante ans qu’Ursula Schulzz-Dornburg arpente les confins du monde. Dans les steppes, à l’est du Kazakhstan, elle photographie le polygone atomique de Semipalatinsk, le premier site d’essais nucléaires soviétiques, démantelé en 1991. Ailleurs, la nécropole de Palmyre, les ermitages romans d’Aragon, dans la province de Huesca, les couloirs du métro de Saint-Pétersbourg, le chemin de fer reliant Médine à la Jordanie, … et puis le mont Ararat et, au Nord de l’Arménie, de curieux abris-bus en béton immortalisées entre 1997 et 2011. Ces derniers ont étrangement survécu à l’idéologie architecturale de leurs créateurs : « C’est ainsi que leur forme, parfois assez originale ou absurde, saute aux yeux, explique la photographe. Ce sont pour moi des monuments architecturaux héroïques à la gloire du quotidien. » Une des dimensions qui intéressait l’artiste, c’était que, du fait notamment de leur délabrement, la plupart de ces abris de bus ne sont aujourd’hui plus des abris à proprement parler, ils ne peuvent réellement protéger des voyageurs, ainsi : « Ils sont devenus des symboles de protection, mais sans pouvoir vraiment en fournir une ».
Erevan – Goris, 2000 © Ursula Schulz-Dornburg
Le travail qu’elle a effectué en Irak, en Mésopotamie, en Syrie et le long de la frontière séparant la Géorgie de l’Azerbaïdjan documente l’histoire et l’incidence des démarcations et frontières, qu’elles soient naturelles ou artificielles, soulignant combien les jeux de pouvoirs, l’avènement et la chute des empires bouleversent les paysages et les gens qui y vivent. Dans sa série Transit Sites en Arménie, et dans celle du chemin de fer reliant Médine à la Jordanie ou encore Ploshchad Vosstaniïa – Place de l’Insurrection, c’est à l’architecture et au mouvement que l’artiste s’est intéressée, montrant comment l’environnement bâti et les infrastructures institutionnelles survivent souvent aux régimes qui ont décidé de leur construction. Enfin, dans ses séries Opytnoe Pole et Chagan, sur les anciens sites d’essais nucléaires de l’ex-Union soviétique et les archives du blé à l’Institut Vavilov de Saint-Pétersbourg, elle met en lumière l’impact de l’homme sur la nature, les liens de cause à effet entre les contingences politiques et la destruction de l’environnement et des ressources naturelles, un thème qui semble plus que jamais actuel.
Une pratique centrée sur le temps, qui ne se préoccupe pas de documenter les séquelles ou de capturer le moment indexé mais s’intéresse au cycle et au déclin, ainsi qu’à l’interstice qui sépare un événement historique du prochain. Une pratique liée à l’approche systématique axée sur les processus et à la rigueur formelle héritée de la pensée minimale et conceptuelle apparue dans les années 1960 et 1970.
Shoair Mavlian, commissaire de l’exposition à la MEP.
L’exposition, dont la scénographie a été pensée par Ursula Schulz-Dornburg, présente plus de 250 de ses œuvres réalisées entre 1980 et 2012. Chaque corpus d’œuvres est présenté sous forme d’installation conçue spécialement pour l’espace de la MEP. La commissaire d’exposition est l’Australienne Shoair Mavlian, qui travaille à Londres où elle conservatrice adjointe à la Tate Modern. Intéressée avant tout par la photographie, elle possède aussi bien une expérience de la pratique de la photographie d’art qu’une solide connaissance de l’histoire de cet art, surtout celle du XXe siècle.
Claire Barbuti
Exposition Zone grise d’Ursula Schulz-Dornburg
Jusqu’au 16 février
MEP (Maison européenne de la photographie) - 5/7 Rue de Fourcy, 75004 Paris
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