KRIKOR AMIRZAYAN Rubrique

Sommes-nous réellement 12 millions d’Arméniens dans le monde ?


Combien sommes-nous ? Généralement en Arménie le chiffre de 11 à 12 millions d’Arméniens est annoncé. Une estimation toutefois, avec tous les aléas d’une telle donnée. Alors que le nombre d’Arméniens vivant en Arménie et en Artsakh est un élément connu avec un peu plus de 3 millions, les chiffres estimés ou supposés des Arméniens de la diaspora varient de 6 à 8 millions, démontrant dans cette large fourchette, les difficultés et aléas d’une estimation, en l’absence de chiffres précis et fiables.

Toujours est-il que près de 3 millions d’Arméniens habiteraient aujourd’hui en Russie dont 800 000 à 1 million de membres installés depuis les premières années de l’indépendance de l’Arménie. Après la Russie qui est la première diaspora « proche » de l’Arménie, la deuxième diaspora en importance est celle des Etats-Unis où les Arméniens seraient de 1,5 million à près de 2 millions. La France est en troisième position mondiale avec une communauté arménienne estimée à 700 000 membres.
Les Arméniens sont présents dans plus de 80 pays dans le monde, sur les cinq continents.
Mais outre les plus de 3 millions d’Arméniens vivant en Arménie et en Artsakh pleinement imprégnés dans la réalité quotidienne arménienne, qu’en est-il des quelque 6 à 8 millions d’Arméniens de la diaspora ? En l’absence d’études statistiques sérieuses sur les relations de cette diaspora à « la chose arménienne » ou de leur intérêt de l’Arménie, nous ne pouvons que procéder par des indices plus ou moins fiables.

Mais l’écrasante majorité de ces Arméniens de la diaspora sont citoyens de leurs pays. Intégrés pour la plupart à leur pays respectifs et assimilés parfois, quel est le niveau d’arménité et d’engagement de ces Arméniens au monde arménien ? Si leur grande majorité serait d’après certains indices sensible à l’Arménie et le monde arménien, très peu toutefois s’engagent. L’Arménie c’est celle de leurs grands-parents et parfois même d’un ancêtre encore plus lointain. Cet espace-temps rend l’espace géographique de l’Arménie encore plus distant de leurs pensées et leur cœur et encore plus à leur action…
La majeure partie de cette diaspora arménienne vit au rythme de la vie politique, sociale et culturelle locale de la Russie, des Etats-Unis, de France et du reste du monde. Un rythme bien loin du quotidien de l’Arménie rendant ainsi difficile une totale imprégnation de cette réalité arménienne.

Les membres les plus engagés de cette diaspora, toutefois minoritaires, soutiennent l’Arménie à chaque instant et vivent à l’heure d’Erévan et de Stepanakert chaque jour, à travers le miracle du net et des médias. Mais pour sa très grande majorité, cette diaspora arménienne observe à distance et souvent dans une indifférence, tant l’Arménie que l’activité de sa propre communauté dans son pays d’accueil. Parmi ces Arméniens qui observent ainsi à distance, combien sont-ils à vouloir faire le pas et s’engager davantage ? Sans doute très peu. Toujours est-il que cette force que représente cette diaspora dont les autorités arméniennes désirent faire bousculer en faveur de l’Arménie, reste très lourde, quasiment immobile et souvent hermétique.
Pour preuve de cette inertie de la diaspora, les commémorations du génocide arménien chaque 24 avril ne recueillent en France à peine 2 à 3% des quelque 700 000 membres de la communauté arménienne. Lors de la guerre de 44 jours en Artsakh, la mobilisation publique des Arméniens fut très importante en France. Mais elle ne représenta que 3 à 4% de cette communauté arménienne… Où étaient les 96 à 97% restants des Arméniens de France, alors que l’Artsakh et sa population arménienne étaient en danger de disparition ?

Cette faible mobilisation au regard du nombre total des membres des communautés arméniennes prouve que la force d’expression et de soutien à l’Arménie et à l’Artsakh est relativement modeste et doit nous faire réfléchir sur la qualité de mobilisation des forces vives de cette communauté qui donne parfois l’impression d’être quelque peu assoupie ou désintéressée par le monde arménien.

Un constat désabusé certes, mais un constat réel au regard des chiffres.
Combien de ces 6 à 8 millions d’Arméniens de la diaspora sont concernés par « la chose arménienne » ? Certainement une minorité. Mais en l’absence de statistiques et d’études sérieuses, nous ne pouvons qu’émettre des doutes sur la capacité de cette force de la diaspora.

La tendance ne donne aucun optimisme quant au réveil attendu. Certes le rôle des associations, partis politiques, organisations et écoles arméniennes est important pour redonner l’espoir d’un renouveau et d’une relance d’intérêt autour de l’arménité, l’Arménie ou « la chose arménienne ».

Mais ne nous trompons pas, l’intégration, suivie quelque peu d’une assimilation d’une partie des communautés arméniennes intégrés, se désintègrent se diluent et disparaissent dans l’inévitable processus de la mondialisation et de l’uniformisation des cultures et des valeurs. Un phénomène qui semble faire des ravages partout dans le monde.

Et les 11 à 12 millions d’Arméniens affichés risquent au final de se résumer à moins de la moitié des chiffres annoncés. « On ne disparait pas, on se transforme » m’expliquait un ami pour évoquer l’intégration des Arméniens aux sociétés occidentales. Une intégration parfois si réussie qu’elle piétine les zones d’assimilation. Et pour l’Arménie, c’est une nouvelle catastrophe. Après le génocide de 1915, ce « génocide blanc » risque de faire davantage de dégâts au sein de la nation arménienne vivant en dehors de l’Arménie !

Krikor Amirzayan

par le mardi 28 juin 2022
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